« Le pire dans la vieillesse, c’est que l’on reste jeune à l’intérieur », Jean Cocteau.
Le temps passe et les années s'égrènent, la fraîcheur du corps et la fermeté des traits s'effacent peu à peu, mais la jeunesse et l'émotion demeurent intacts au fond des coeurs et
des regards.
A travers ses clichés, le photographe Eric Dexheimer nous prête un moment sa manière de voir les vieilles personnes pour en capter la beauté et les sentiments.
On ne peut ignorer la solitude des personnes âgées et le sentiment d'indifférence dont les entoure la société, simplement parce que cette dernière les met de côté au motif d'improductivité et d'usure de leur corps, comme si ces personnes ne comptaient plus, attendant seulement la mort.
Et pourtant, les témoignages et les portraits des vieilles personnes qu'a croisé Eric Dexheimer nous touchent par leur candeur et leur jeunesse, par le caractère éternel de leur passion.
L'artiste a su les écouter et les regarder, et saisir un regard tantôt attendri tantôt passionné, pour l'être aimé ou le souvenir qui lui en reste.
A l'occasion d'une commande de photos de l'association Les Petits frères des Pauvres, Eric Dexheimer rencontre des femmes âgées.
«Comme je suis assez bavard, j'aime beaucoup les gens, un dialogue s'est instauré avec ces dames. Elles m'ont raconté plein de choses sur leur vie et elles étaient très près dans la séduction. Elles avaient toutes entre 80 et 95 ans et m'ont parlé de leur jeunesse, avec des mots très tendres. Et moi, j'ai eu une image vraiment brutale de ces femmes jeunes - dans leur discours et leurs retours en arrière - avec les personnes que je voyais dans ce restaurant. Et j'ai tout de suite mis en relation cette enveloppe charnelle vieillissante avec les photos que je voyais d'elles jeunes. »***
« Le cœur n’a pas pris une ride. Le temps n’a pas eu de prise sur ces "vieilles amours". »*
« Ces rencontres furent pour moi une révélation, une véritable découverte : je me suis rendu compte que ces personnes avaient été jeunes. J'ai pris brutalement conscience que, moi aussi, j'allais vieillir. L'idée était née : j'ai recherché le moyen d'exprimer ce sentiment. Travailler sur l'amour chez les personnes âgées en était l'un des chemins. Il m'a semblé alors que le meilleur moyen de parler de ce sentiment pourrait être de parler de l'amour entre personnes âgées. »**
Le nouveau projet se concrétise, en partenariat avec l'association des Petits frères des Pauvres.
Durant près de trois ans, il travaille auprès de couples qui ont tantôt 70 ans de vie commune, tantôt une histoire récente, ou encore une personne seule, en maison de retraite ou à leur domicile.
Ce travail aboutit à une exposition intitulée « Amours de vieux et vieilles amours » dans laquelle sont présentées ses photos accompagnées d'un documentaire réalisé par son épouse Fanny Mesquida.
« Jusqu'ici, j'associais l'image de la vieillesse, comme beaucoup, à celle de la fin de la vie. Les personnes âgées sont comme nous du côté de la vie. Elles ont envie, elles aussi, de plaire, de séduire, d'aimer et d'être aimées. Les corps vieillissent mais les envies et les coups de cœur sont intacts.»
« On n’a plus le corps de vingt ans, mais ce n’est rien. On s’aime comme on est. Il n’y a plus d’âge, plus rien qui compte! »(Odette)*
« Ce sont des photos sur l’amour, au présent, au passé. Rayonnant, fantasmé. Souverain, sublimé. Profond ou plus ludique. Récent ou si ancien qu’on parle d’éternité. Enfoui dans un coin de cœur, comme un trésor intime dont on n’ose plus parler.Ou bien à fleur de peau, vivace et enjoué. Posez-vous un instant. Rapprochez-vous de ces hommes et de ces femmes qui, avec tant de naturel, nous acceptent chez eux. Acceptez la lenteur. Elle sied aux vieilles personnes, elle vous met dans leurs pas. Et en quelques secondes vous plonge dans leur histoire. […] Ces couples sont amoureux, le clament et le démontrent. Leurs mains, toujours, se cherchent, s’enlacent, s’accrochent, comme les maillons d’une chaîne. L’éclat de leur regard dit la complicité, la tendresse, la confiance. La certitude d’un lien inaltérable, de destins conjugués. Les autres ont des souvenirs. De bals et de baisers, d’émois et de serments. La fierté d’avoir vécu au moins une belle histoire et d’avoir existé un moment dans le regard d’un autre. […] C’est le talent d’Eric Dexheimer que d’avoir su capter la palette des sentiments et la beauté de ces visages modelés par les ans et leur lumière intime. »
Annick Cojean, Prix Albert-Londres****
Le livre de l'expo :
"Amours de vieux et vieilles amours …", Eric Dexheimer, mai 2001, Editing-Alternatives
Sources :
*Extraits du documentaire de 52 minutes « Amours de vieux et veilles amours », 2001, coproduit par « Le meilleur des mondes ».
***Propos recueillis par Séverin Grisard
****Eric Dexheimer collabore à la maison de photographes Signatures : voir ici et là