La justice armée - Le Secret des Secrets
Lors de mes explorations des trésors de Gallica, mon attention a été captée par les enluminures d'un manuscrit rassemblant deux textes : Le Secret des Secrets, suivi du Bréviaire des Nobles. La précision et la finesse du trait, les couleurs vives demeurées intactes, dépeignent des visages d'un autre temps, témoignant d'autres quotidiens : coiffures, vêtements, décors et mobiliers d'un autre âge.
Après quelques recherches, j'ai découvert que ce manuscrit de la fin du Moyen Age, est une sorte de manuel de morale aristocratique. Il traite de l'art de bien gouverner et de bien se gouverner. Composé dans les années 1420 par Alain Chartier, poète, diplomate, orateur et écrivain politique, il est illustré par l'enlumineur Jean Poyer.
Le premier titre de ce recueil reprend un texte célèbre au Moyen Age : Le secret des secrets, dit du Pseudo Aristote. Il s'agit d'un traité de morale et d'hygiène, sous la forme de conseils écrits par Aristote pour son disciple l'empereur Alexandre.
C'est le livre du gouvernement des rois et des princes appelé le Secret des Secrets.
Lequel fit Aristote et l'envoya a l'empereur Alexandre.
S'ensuit le bréviaire des nobles ...
Ce texte est suivi d'un poème, le Bréviaire des nobles. Alain Chartier y présente sa conception de l'idéal chevaleresque. Le manuscrit connut un grand succès aux XVe et XVIe siècles, et les gentilshommes se devaient de l'apprendre par cœur.
La noblesse
Povre et riche meurt en corrupcion,
Noble et commun doivent à Dieu service ;
Mais les nobles ont exaltacion
Pour Foy garder et pour vivre en justice.
Loyauté
En Noblesse sont les droiz contenuz
De loyauté ou ceulx doivent entendre,
Qui ces deux poins ont par cueur retenuz :
Servir leur roy et leurs subgez deffendre.
Honneur
Hault honneur est le tresor de Noblesse,
Son espargne, sa privee richesse,
Et ce que cueur noble doit desirer :
Son seur conduit*, saguide et son adresse,
Son reconfort, son plaisir, sa liesse,
Et le mirouer ou il doit se mirer.
(* sauf-conduit)
Droiture
Raison, equité, mesure,
Loy, Droiture
Font les puissans hommes durer.
Et honneste nourriture,
Par nature,
Fait bon cueur amesurer
Et tout meffait forjurer,
Et jurer.
Prouesse
D'oultrage mort celui qui vit par oultrage
Raison le veult et Dieu le nous témoigne.
Donc doit armmer homme de haut lignage.
Honneste mort plus que vivre en vergoigne.
Amour
C'est l'enseigne du haut cueur honnorable.
Qui de ce fait ad ce qu'il ayme part
C'est la bonté qui soi mesmes espart
Et qui acquiert aucun bien pour le sien
Haine porte le feu dont elle sait
Qui n'a Amour et amis il n'a rien.
Courtoisie
Car la noblesce s'estaint
Des que la vie est honteuse,
Et langue oultrageuse,
Pensee envieuse
Et main perilleuse
Font homme estourdis
En faiz et en diz.
Diligence
Que vault homme qui muse et se pourmaine,
Et veult avoir mol lit et pance plaine,
Et demourer a repos et a couvert,
Et passe temps sepmaine après sepmaine,
Et ne lui chaut en quel point tout se maine,
Qui soit perdu ne qui soit recouvert,
Qui veult qu'on soit davant luy descouvert,
Et qu'on die qu'il est noble à merveille.
Mais qui noble est, il appert de quoy sert
Diligence qui les vertuz esveille.
Netteté
S'il pense bien et advise,
Et sur soy mesmes regarde,
Celuy ou tous prennent garde.
Laid parler et trop mesdire
Sont une vile devise
Sur homme ou chascun se mire
Et ou tout le monde vise.
Honnesteté est requise
Pour tenir en sauvegarde
Celui ou tous prennent garde.
Par netteté et courtoisie,
D'ordure se contregarde
Celui ou tous prennent garde.
Largesse
Seule cette vertu, pour une raison inconnue, n'est pas illustrée.
Riche qui laisse honneur pour les despens,
Tout bien lui faille et son honneur lui fonde.
A Largesse voit on le cueur des gens ;
C'est l'enseigne des vertuz en ce monde.
Sobriété
De faire exces ne peut il bien venir.
Ne courss ne los* n'en peut estre meilleur ;
Ains en pert on manière contenir,
Voix alaine legierté et couleur.
Et tousjours a gloton quelque douleur,
Et est pesant, replet, et gras et ort**.
Sa vie abrege et approche sa mort.
Nul n'en a deuil, homme ne le regrette.
(*louange)
(**sale)
Persévérance
Excellante haulte vertu divine
qui tout parfait, accomplit et termine,
Royne puissante, Dame Perseverance,
Cil qui retient ta loyale doctrine,
Sans forvoyer le droit sentier chemine
De los, de pris, de paix, de suffisance,
Car tu vains tout par ta ferme constance.
Sources :
Le secret des secrets suivi du Bréviaire des nobles - Gallica
Une mise en image du discours moral à la fin du Moyen Age : le cas du manuscrit du Secret des secrets et du Bréviaire des nobles enluminé par Jean Poyer, de Pascale Charronpdf
-Lectures françaises de la fin du Moyen Age, de Frédéric Duval, éd. Librairie Droz, 2007
Article de Wikipédia Le bréviaire des nobles
De la lecture des livres françois, par Marc Antoine René de Voyer Argenson, André Guillaume Contant d'Orville, Contaht d'Orville André Guillaume, éd. Moutard, 1780