Au XIXe siècle, la mode du bas continue doucement son évolution. D'une grande simplicité au XVIIIe siècle, le bas s'orne au fil des décennies d'embellissements toujours plus complexes. Rivalisant de luxe et d'élégance, il accompagne les robes des élégantes de la délicatesse de ses jours et de ses dentelles, et revêt peu à peu toutes les nuances des toilettes féminines.
1830 : La vogue du bas blanc
Dans les années 1830, le bas blanc à la mode. Il donne « sous les robes noires ou de couleur, une jolie note de lumière »(1), et, bien fin, il dessine parfaitement le pied et la jambe.
Les plus élégantes portent « des bas de soie blancs unis, aussi fins qu'une gaze transparente »(2), mais le plus souvent, les bas sont en coton.
On trouve des bas de coton à tous les prix.Les moins chers sont unis et écrus, de la couleur du coton non blanchi, puis ce sont les bas blancs unis, les plus chers étant les bas de couleur, unis ou richement brodés.
Les bas de coton sont légers et parfaits pour la belle saison, de même que les bas de fil.
La nouveauté est le fil d'Ecosse, dont l'aspect brillant et régulier « égale en beauté le bas de soie » et connaît un succès croissant.
Le fil d'Ecosse, qui n'a d'écossais que le nom puisqu'il est alors fabriqué en France, est un fil de coton de grande qualité composé de 3 ou 6 fils très retors*, quand les autres types de fils n'en contiennent que 2 ou 4 au plus. Les bas en fil d'Ecosse sont fabriqués dans toutes les couleurs, essentiellement en blanc ou en noir(3), et ils sont presque tous à jours(4).
Les bas de fil de Saxe sont également une nouveauté. Ecrus ou blanchis, ils sont aussi très appréciés l'été, et sont, dit-on, plus proche encore de la soie par leur brillant(5).
Pour l'hiver, ce sont les bas de laine qui sont le plus portés. Ils sont noirs, gris ou chinés(6).
Mais la laine est un peu rude, et on les double parfois de bas de coton très légers pour empêcher son frottement sur la peau(7).
A ces bas de laine, les riches coquettes leur préfèrent les bas de soie ou de coton. Elles les portent aussi à jours quand il fait froid, sous lesquels elles mettent des bas de soie ou de cachemire de couleur chair(2)et(7).
Les bas sont très souvent brodés, à la main et de préférence ton sur ton, « avec une délicatesse de points variés à l'infini »(8).
« On brode sur tricot à jour, de fil d'Ecosse, ou sur un bas de tulle ouvragé, des dessins à semé, à colonnes, à fleurs variées. Cette broderie se fait au plumetis. C'est encore la même en soie blanche, ou noire, ou même de couleur, sur les bas de soie blancs, noirs, gris, etc. On brode quelquefois maintenant des bas de fil d'Ecosse extrêmement fins, à fil d'or»(9).
« Pour les bas à jour, les dames de goût trouveront les dessins les plus à la mode, tels que dessins à la parisienne, mappemonde turque, égyptienne, tricot de Berlin, polonaise, grecque, extrafins ; dessins tricotés à la main et rapportés, les trois coins* dentelle à baguettes ; grands et petits dessins en blanc écru »(10).
. « On en voit même au travers desquels on aperçoit entièrement la jambe ; les broderies alors sont mates sur le cou de pied »(6).
Selon le moment de la journée, les dames riches changent leurs bas, tout comme elles changent leur robe.
Ainsi, les matin, elles choisissent des bas en fil d'Ecosse, unis et très clairs, sans jours. Les plus ouvragés restent discrets : bas de coton gris ornés de dessins noirs(2), ou bas clair dont « les coins* seulement ont un montant de deux petites guirlandes qui font la flèche, en se joignant dans leurs extrémités »(5).
Enfin, pour une toilette plus habillée, elle enfile alors des bas blancs à jours, aux dessins légers et délicats, de soie ou de fil d'Ecosse.
1860 : Le bas s'assortit à la tenue et il découvre la fantaisie
Dans les années 1860, le bas blanc est toujours à la page.
On commence malgré tout à apprécier les bas de couleurs, de même que « les bas de fantaisie », car « les toilettes d'aujourd'hui exigent des bas assortis aux robes »(11).
On assortit donc désormais les bas « aux nuances des robes, en soie ou en filoselle*, les bas de soie à coins* brodés Louis XV, les bas brodés en paille ou en perles et tout ce qui constitue la grande fantaisie ». Au Grand-Frédéric, qui possède sa propre fabrique à Paris, « il suffit d'envoyer un échantillon pour recevoir peu de temps après des bas de la même nuance »(11).
La boutique, rue du faubourg Saint-Honoré, émerveille ses visiteurs, «étonnés du luxe des bas dont le pied est couvert de riche dentelle et émerveillés de la perfection avec laquelle cette dentelle est appliquée par une broderie de soie. Les bas de soie à dentelle et les bas de soie blanche si richement brodés méritent aussi un point d'admiration. Il y a ensuite les bas de soie de couleur jaune à coins* noirs, bleus et lilas à coins blancs, rouges, verts et violets à coins noirs, puis les unis sans coins »(12).
Cette diversité accompagne les élégantes tout au long de la journée.
Le matin, ce sont des bas de mérinos de couleur, ou bien des bas de coton ou de filoselle* chinés gris et noir, ou gris et marron. L'après-midi, des bas de soie assorties à la robe. Pour le soir, des bas à coins* brodés Louis XV(13).
1890 : Le bas blanc fait place au bas de couleur
Dans les années 1885-1890, le bas de couleur a désormais les faveurs des élégantes.
« Une véritable révolution s'est en effet opérée, et voilà bien des années que le bas blanc a été biffé du livre d'or des bas qui se respectent. Bon pour les cuisinières, tout au plus, le bas blanc, à moins qu'il ne soit un bas de dentelles et qu'il n'apparaisse dans le frou-frou neigeux d'une robe toute blanche, le soir, au bal ou à l'Opéra »(14).
« Les couleurs les plus en vogue sont le noir, le rouge (seulement pour le voyage ou l'été avec certaines toilettes) ou l'écossais, ainsi que les bas à raies verticales ou horizontales. D'autres couleurs se portent aussi, assorties aux toilettes de fantaisie» (15).
En revanche, le bas clair est préféré au bas foncé qui a été à la mode quelques temps, assorti au costume, et qui donne aux femmes « des jambes de coq ». Le bas clair quant à lui, galbe joliment « leurs jolis mollets ». Et si l'on veut ajouter à la finesse de la cheville, contrastant avec le galbe du mollet, « un large coin sombre sur la cheville en complète la science raffinée, rendant le pied plus étroit et soulignant ce coude-pied»(14).
Les bas s'ornent de raffinements dont la délicatesse et la richesse s'oppose à la simplicité des broderies ton sur ton d'autrefois. Ils sont rayés, décorés de dessins ou de broderies, et sont garnis de dentelles.
« Avec le bas blanc, le coton a également presque disparu, remplacé par le fil d'Ecosse, lorsque ce n'est pas la soie qui pose sur la jambe fine son fil arachnéen ainsi qu'un imperceptible épiderme ».
A la belle saison, la légèreté du fil d'Ecosse a la préférence. Les bas de fil d'Ecosse offrent une grande diversité : brodé, carrelé, rayé, losangé, à coins*, à mouches, à facettes, bas d'Arlequin, bas Mazarin, bas à Colin, bas Watteau, bas Directoire à coins excentriques.
L'hiver, la soie est bien chaude, mais elle demeure un objet de luxe, et ceux qui ne peuvent se le permettre portent des bas de laine, qui ne présente malheureusement pas la finesse et l'élégance des bas de coton.
Par contre, en dehors des temps froids, sachez que, « avec les toilettes d'été, le bas de soie serait absolument déplacé »(14).
A cette époque encore, la mode demande d'assortir les bas à la toilette, ainsi qu'aux différents moments de la journée. « La règle absolue, pour le bas de fil comme pour le bas de soie, c'est l'assortiment absolu au costume »(14).
La couleur du bas s'assortit à celle de la robe. Ses rayures, dessins et broderies, ses dentelles, rappellent ceux de l'ensemble de la toilette. Pour une tenue unie, le bas se brode ton sur ton.
Ainsi, un bas bleu pâle convient à un costume bleu sombre, grenat, bronze ou vert myrte. Lilas, il sied à une toilette violette ou prune. En soie dorée ou cerise, il est parfait avec une robe gris souris, loutre ou blonde(14).
« Le bas de fantaisie s'assortit aux costumes d'été. A toutes petites raies, c'est le plus ordinaire ; à pois, écossais, Pompadour, avec un semis de fleurettes, il est encore coquet ». « Joignons-y le bas madras, à grands carreaux ; le bas Colas, à toutes petites raies très serrées sur un fond assorti au costume ; le bas arlequin, à losanges ; le bas pompadour, à fleurettes. Comme on voit, les bas blanc fait la triste figure de Pierrot dans ce bigarrage»(14).
« Le bas de soie clair pour les toilettes de maison ou du soir, présente une fantaisie plus grande et un luxe plus varié et plus infini. Ici la dentelle trouve sa place, les fleurettes Pompadour, les broderies de toutes sortes, même l'or et l'argent ! »
« Pour le soir, le bas plus ou moins brodé, plus ou moins ajouré, appliqué de dentelle, s'assortit donc très exactement à la toilette, en soie très fine, azur, chair, fris d'argent, or, perle, etc. ; des palmettes d'or, de gentilles fleurettes brodées en relief, des coins* de dentelle noire ou blanche ou une application sur le cou-de-pied ajoutent à sa grâce»(14).
« Pour une robe de soie azur relevée sur une jupe de dentelles blanches, le bas de soie azur appliqué de dentelle blanche.
Pour une toilette rose garnie de dentelles noires, le bas rose résillé de dentelles noires.
Une robe pampillée exige un bas moucheté. Des dessins Pompadour doivent être reproduits sur le bas dont le fond est celui de l'étoffe.
Une robe de poult de soie maïs rehaussé d'or veut un bas maïs brodé d'or et appliqué de dentelle d'or.
Une toilette de crêpe blanc lamé d'argent, un bas de soie blanche et lamé d'argent.
J'ai vu une toilette de satin lilas de Parme, enguirlandée de roses et semée d'hirondelles. Le bas était en soie lilas, brodé de boutons de roses et de toutes petites hirondelles.
Pour une autre toilette en tulle blanc, couverte d'une pluie de pétales de roses, le bas blanc brodé des mêmes pétales roses»(14).
« Enfin, prenant un bas, voyez comme elle pose
Son pied mignon et nu sur son genou tout rose.
Le bas est mis, - il faut qu'il soit bien tiré !
Le précepte qui veut que, sur la jambe fine,
La main ne laisse pas un pli de mousseline,
En France comme ailleurs est un fait avéré.
La jarretière rose, au-dessus du bas blanc,
Fait aux genoux ensuite un beau noeud de ruban. »
(Les feuilles perdues, par Edouard Dangin, 1873)
Petit lexique :
*Retors : « La dénomination de fils retors s'applique à tous les fils ayant subi le retordage, qu'ils soient simplement doublés, c'est-à-dire formés de deux bouts seulement, ou qu'ils soient composés d'un plus grand nombre de bouts »(16).
*Coin : « Partie d'un bas dessinée en pointe, et dont l'extrémité inférieure répond à la cheville. » (17)
Bas à coins, Milon Aîné, Paris, vers 1860 Jersey de soie, broderie au passé plat Coll. UFAC
*Filoselle : « La filoselle est cette soie irrégulière, très commune, que l'on voit distribuée, comme à l'aventure, autour des longs fils qui forment le corps des cocons et que l'on rebute au dévidage. La filoselle porte aussi le nom de fleuret ou bourre de soie.
Autrefois, lorsqu'on avait dévidé la soie, on jetait sur les fumiers la coque des vers ; les Italiens seuls savaient utiliser la filoselle. Aujourd'hui, et depuis plusieurs années déjà, la filoselle se file et se met en écheveaux comme la soie. » (3)
Sources photos des bas : The Metropoltan Museum of Art
Sources :
1 - Le décolleté et le retroussé, 1910, de John Grand-Carteret
2 - Affiches, annonces judiciaires, avis divers du Mans et du département de la Sarthe, 1831
3 - Encyclopédie des gens du monde, Librairie de Treuttel et Würtz, 1839
4 - Encyclopédie du commerçant, par Guillaumin, 1839
5 - La mode : revue des modes, 1832
6 - Affiches, annonces judiciaires, avis divers du Mans, et du Département de la Sarthe, 1832
7 - Manuel des dames, ou l'art de l'élégance, par Elisabeth Celnart, 1833
8 - La mode : revue des modes, 1849
9 - Nouveau manuel complet de la broderie, par Elisabeth Celnart, 1840
10 - Journal des Deux-Sèvres, politique, littéraire, commercial, de la Société d'agriculture et de l'Athénée, 1830
11 - L'artiste, Beaux-Arts et Belles-Lettres, 1865
12 - L'artiste, Beaux-Arts et Belles-Lettres 1867
13 - L'artiste, Beaux-Arts et Belles-Lettres, 1866
14 - L'art de la toilette chez la femme : bréviaire de la vie élégante, par Aline de Laincel, 1885
15 - Le livre de la femme d'intérieur, par Oscar-Edmond Ris-Paquot, 1891
16 - Annales du commerce extérieur, Imp. Et Libr. Administrative Dupont, 1854)
17 - Dictionnaire de l'Académie française, 1835
Au XVIIIe siècle, les bas tricotés sont maintenant répandus. Les bas de soie règnent en maître dans la haute société, et les bas de fil de coton sont de plus en plus courants.
Les femmes ne cherchent pas davantage à cacher leurs jambes en ce début de siècle, «époque où les bas étaient brodés d'or et de soie depuis la cheville jusqu'au milieu du mollet ». (1)
La jarretière, en soie, à boucles, noue le bas sur le genou. On y lit souvent des devises éloquentes : « Ma devise est de vous aimer- Et de ne jamais changer », ou « L'union de nos coeurs– Fait tout mon bonheur ».
En 1730, la mode est désormais aux bas tricotés. Les manufactures de fabrication des bas se développent dans toute la France.
En 1785, la fabrication des bas se partage encore au sein de différentes corporations.
L'industrie de la bonneterie confectionne les bas au métier ou à l'aiguille, à partir de la soie, de la laine d'estame, de coton ou de fil.
Les marchands peaussiers fabriquent des bas de chamois, qu'ils teintent de couleur, avant de les tailler et les coudre.
Enfin, les marchandes lingères font des bas de toile, jaune et grise, ordinairement écrue. (2)
C'est aussi à cette époque que l'usage du bas de coton, d'abord appelés bas de barbarie, se généralise, jusqu'à devenir très en vogue à la fin du siècle.
Le Mercure de France, alors moniteur de la mode, disait en 1730 : « Les dames portent beaucoup de bas de fil de coton, dont les coins sont brodez en laine de couleur. Les bas de soye sont brodez en or ou en argent. Les bas blancs ont mis les souliers blancs à la mode. » (1)
Tandis qu'à partir du début du XVIIIe siècle, les bas blancs et les bas chinés sont les plus prisés, les bas noirs auront la préférence à la fin du siècle.
Au-delà des tendances générales, on constate de grandes variations selon les régions françaises.
En Savoie par exemple, on lit en 1790 que les bas les plus fréquemment portés sont les bas de laine, et que « les bas de fil ou de coton, plus fins, sont réservés aux dimanches ». (3)
En Provence par contre, les voyageurs étaient surpris de découvrir que les femmes, même dans les milieux les plus populaires, portaient des souliers au lieu des sabots, et des bas délicats, qu'elles tricotent elles-mêmes à l'aiguille.
« Le plus fréquemment blancs et de coton, on en trouve en laine, en soie pour les plus fortunées. Ils peuvent être rayés, chinés, et certains sont rebrodés de petits motifs et ajourés. A Marseille, les poissonnières portent des bas violets teints à l'indophénol qui résisite mieux à l'iode. » (4)
« Au début du siècle, l'industrie avignonnaise du bas de soie bat son plein. Sur tout le siècle, la filoselle (sorte de soie grossière) est la matière première à 60% des bas, la soie 30%, le coton 10%.
Le bas que revêt l'Avignonnaise n'est pas forcément blanc ; en soie il est cramoisi ou vert à la fin du XVIIe, noir ou blanc à la fin du XVIIIe. En filoselle, il est de diverses couleurs, le plus souvent de la teinte naturelle – beige-jaune - de la bourre de soie.
Le peuples en bas de soie ! Même si cette soie n'est pas schappe, même si le bas de filoselle coûte deux fois moins que le bas de soie pure, même si, fabriqué dans l'atelier familial, il revient encore moins cher, le faut vaut d'être noté. Il est d'ailleurs confirmé par les descriptions des voyageurs : le Bourguignon De Brosses observe à Avignon en 1783 que les femmes laborieuses ont « des jambes de biche, chaussées de fins bas de soie blancs. »(5)
Pour finir, anecdote intéressante, on apprend en lisant l'histoire de Voltaire, que ne pouvant plus jouer la comédie, il remplaça son théâtre installé à Ferney, près de Genève, par une manufacture de bas de soie.
« Ce sont mes vers à soie qui m'ont donné de quoi faire ces bas ; ce sont mes mains qui ont travaillé à les fabriquer chez moi, avec le fils de Calas ; ce sont les premiers bas qu'on ait fait dans le pays. Daignez les mettre, madame, une seule fois, montrez ensuite vos jambes à qui vous voudrez ; et si on n'avoue pas que ma soie est plus forte et plus belle que celle de Provence et d'Italie, je renonce au métier ; donnez-les ensuite à une de vos femmes, ils lui dureront un an …
Je me mets à vos pieds, j'ai sur eux des desseins ;
Je les prie humblement de m'accorder la joie
De les savoir logés dans ces mailles de soie
Qu'au milieu des frimas je formai de mes mains.
Vous verrez, madame Gargantua (petit nom que Voltaire donnait à la duchesse de Choiseul), que j'ai pris tout juste la mesure de votre soulier. » (6)
Sources :
1 - La vie privée d'autrefois : arts et métiers, modes, moeurs, usages des Parisiens, du XIIe au XVIIIe siècle, par Alfred Franklin, 1887
2 - Encyclopédie méthodique. Commerce. 1783-1784, par Nicolas Baudeau
3 - Le grand livre des costumes de Savoie, par Daniel Déquier et François Isler, Ed. La Fontaine de Siloë, 1996
4 - Les belles de mai : deux siècles de mode à Marseille (XVIIIe-XIXe siècles)
5 - Le bien des pauvres : la consommation populaire en Avignon en 1600-1800, par Madeleine Ferrières, Editions Champ Vallon, 2004
6 - Voltaire et la société française au XVIIIe siècle (Tome VII), par Gustave Desnoiresterres, 1867-1876
Les bas ont subi au XVIe siècle de grands changements : séparation des chausses en haut-de-chausses et bas-de-chausses, apparition des bas de soie, puis des bas tricotés, en laine ou en soie, et à la fin du siècle, l'invention du métier à bas, qui attendit près d'un siècle pour être pleinement exploité.
« Objets de luxe plus que de nécessité », les bas étaient encore coûteux et « d'une production relativement difficile », et ils restèrent longtemps « à la portée seulement d'un petit nombre » (1).
Détail de l'image ci-dessus : Susanna and the elders,
Lorenzo Lotto 1517 (Galleria degli Uffizi, Florence, Italie)
Division des chausses en deux parties
C'est au XVIe siècle que les chausses masculines se différencient en haut-de-chausses, partie qui couvre les cuisses, et en bas-de-chausses, partie qui couvre le bas des jambes. Ces sont ces dernières qui donneront naissance aux bas modernes.
Les chausses féminines restent d'une seule pièce.
Les bas de soie
Les bas en usage durant la première moitié du XVIe siècle étaient encore faits de drap, de lin, de laine ou encore de soie tissés.
Bas de soie tissée - Italie, XVIe (The Metropolitan Museum of Art)
La date de l'apparition des bas de soie en France n'est pas connue, mais on sait qu'il sont très prisés à cette époque, à l'instar des modes pratiquées en Italie, et leur port est encouragé par François 1er (2, 3).. Ils sont alors faits en soie tissée et ajustée, qui est fragile et coûteuse.
Un siècle plus tard, il était admis que «tout homme un peu élégant ne pouvait porter que des bas de soie » (4).
Les bas tricotés
C'est au milieu du XVIe siècle que les bas tricotés en maille fine, faits de laine ou de soie, font leur apparition.
On connaissait les bas tricotés en 1554 en France, où les bonnetiers devenaient fabricants de bas, appliquant jusque-là le travail à l'aiguille pour la fabrication des gants et des bonnets.
C'est « à quelques années près que la France, l'Italie, l'Espagne, l'Angleterre, la Suisse, l'Allemagne, connurent la fabrication du bas tricoté »(1).
Marchands de bas, vers 1560 - Musée national allemand, Nuremberg
Le travail à l'aiguille, qui fut dès lors appelé tricot, est exécuté avec quatre aiguilles en bois, en os, en fer ou en acier. Le métier à bas ne fut inventé que plus tard.
« Les bas au tricot, que l'on nomme aussi bas à l'aiguille ou bas brochés, se font avec de longues et menues aiguilles, ou petites broches de fil de fer ou de laiton poli, qui, en se croisant les unes sur les autres, entrelacent les fils, et forment les mailles dont les bas sont composés, ce qui s'appelle tricoter ou brocher les bas, ou les travailler à l'aiguille »(5).
On raconte qu'Henri II portait, à l'occasion du mariage de sa fille Elisabeth en 1559, «les premiers bas de soie tricotés à l'aiguille que l'on eut vu en France »(6).
C'est à cette époque « que l'on eut, de nouveau, l'idée de tisser des bas à l'aiguille ». Ce type de bas avait l'avantage de bien mouler les jambes, ce qui répondait parfaitement à la mode des bas bien tirés. La maille donnant aux bas plus de souplesse et d'élasticité que le tissu ajusté, ils furent vite adoptés par ceux qui pouvaient se le permettre. « Cette mode des bas de soie exécutés aux aiguilles par des ouvriers spécialisés se répand rapidement dans tout le royaume »(7).
Bas de soie tricotée, de couleur et brodés- Italie, XVIIe siècle (Museum of Fine Arts Boston)
A peu près toutes les personnes un peu aisées portaient des bas tricotés avant la fin du XVIe siècle. En revanche, pour la majeure partie de la population, et ce encore au XVIIe siècle, les bas-de-chausses sont le plus souvent taillés dans du drap et non pas tricotes(4).
Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que l'usage du bas d'étoffe disparaît(5).
Bas de soie tricotée - Italie, début XVIIe siècle (Museum of Fine Arts Boston)
La machine à bas
Le premier métier à tricoter les bas fut créé en 1589 par un anglais, William Lee. « On prétend que c'est en voyant sa fiancée sans cesse absorbée par le travail du tricot, qu'il voulut substituer à l'action des doigts un procédé mécanique donnant des résultats plus parfaits et plus rapides »(4).
The Origin of the Stocking Loom, Alfred Elmore 1847
« Les bas au métier sont des bas ordinairement très-fins, qui se manufacturent par le moyen d'une machine de fer poli, très-ingénieuse, dont il n'est pas possible de bien décrire la construction, à cause de la diversité et du nombre de ses parties, et dont on ne comprend même le jeu qu'avec une certaine difficulté quand on l'a devant les yeux.
On tombe dans l'étonnement à la vue des ressorts presque innombrables dont cette machine est composée, et du grand nombre de ses divers et extraordinaires mouvements. Combien de petits ressorts tirent la soie à eux, puis la laissent aller pour la reprendre et la faire passer d'une maille dans l'autre d'une manière inexplicable ; et tout cela sans que l'ouvrier qui remue la machine y comprenne rien, en sache rien. En un clin d'oeil cette machine forme des centaines de mailles à la fois, c'est-à-dire qu'elle fait en un moment tous les divers mouvements que les mains ne font qu'en plusieurs heures»(5).
Mais cette invention, qui constituait une grande concurrence aux ouvriers qui tricotaient à la main, tardera à être exploitée comme elle le méritait, bouleversant la production des bas et répandant alors leur usage à une plus large population.
Alfred Franklin nous conte l'histoire du métier à bas de William Lee (4) :
« Son premier métier fut construit en 1589 et fonctionna à Calverton près de Nottingham.
Wiliam Lee, rebuté par les déboires que lui suscitèrent les bonnetiers anglais, accepta les offres de Sully, et vint s'établir en France. Il y eut des alternatives de succès et de revers ; puis, privé de la protection royale après la mort de Henri IV, il négligea son oeuvre et mourut dans la misère. Son frère regagna alors l'Angleterre avec les ouvriers qu'il avait formés.
Les premiers fabricants qui l'exploitèrent gagnèrent des millions, et le gouvernement la prit sous sa protection avec un soin si jaloux qu'il fut défendu, sous peine de mort, d'exporter des métiers à bas ou même d'en montrer à un étranger.
Il fallut presque un miracle pour les faire connaître en France. Un Nîmois, nommé Jean Hindret, passa en Angleterre, réussit à examiner quelques métiers, en saisit le mécanisme compliqué, et en grava tous les détails dans sa prodigieuse mémoire avec une telle fidélité que, de retour sur le continent, il put faire reconstruire, pièce à pièce, la machine qu'il avait vue. Celle-ci fut mystérieusement renfermée au bois de Boulogne, dans le château de Madrid, où Jean Hindret réunit et forma un petit nombre d'ouvriers. On était alors en 1656. Les métiers fonctionnèrent bientôt avec un plein succès ».
Couleurs et ornements des bas :
Au début du XVIe siècle, les bas des femmes sont de couleurs variées, telles le « rouge incarnat et couleur de chamois ». La plupart portent des bas moins colorés que les hommes puisqu'ils ne sont pas sensés être vus.
Les veuves se cantonnaient aux couleurs plus sobres : « gris tanné, violet, bleu »(8), et «les dames jeunes s'autorisent des couleurs éclatantes et nuancées».
Joseph et la femme de Putiphar; Galerie Borghese,
Ludovico Cardi dit le Cigoli, 1610 (Galerie Borghese, Rome)
Des textes de l'époque témoignent des bas des riches dames au XVIe siècle, pour lesquels le rouge semblait être une des couleurs les plus portées.
Anne de Bretagne, à la fin du XVe siècle, avait « de longues chausses de fine écarlate »(10).
En 1534, Rabelais décrit les costumes des Thélémites : « Les dames portoient chausses d'escarlatte, ou de migraine, et passait les dictes chausses le genoul au dessus par troys doigtz, justement. Et ceste liziere estoit de quelques broderies et descoupures »(11).
Enfin, l'inventaire de la veuve du président Nicolaï, pour l'année 1597, cite dans la liste de ses biens « une paire de chausses en velours rouge »(12).
Marie Stuart, reine d'Ecosse, François Clouet, 1558 (Londres, Royal Collection)
Lors de l'exécution de Marie Stuart en 1587, « ses bas de chausses estoient de soye de couleur, ouvragés de fil d'or. Les jarretières estoient deux belles escharpes sans ouvrage »(13).
« Sous Louis XIV, on s'engoua des bas couverts de dessins en couleurs »(4).
Le Mercure galant en 1672 signale que Perdrigeon, le célèbre marchand fournisseur de la Cour, lança la mode des bas de soie de la Chine « dont les figures étaient les plus plaisantes du monde »(3).
« Il faut, disait le même journal en 1673, que les dames qui porteront de ces bas de soye figurez soient résoluës à faire voir leurs jambes, car sans cela il leur seroit inutile de porter de pareils bas »(4).
Bas de soie tricotée - Espagne, XVIIe siècle (Museum of Fine Arts Boston)
Au XVIIe siècle, « les bas de soie furent aussi fort à la mode en Angleterre, surtout les bas de soie verts : le duc d'York avait vu, paraît-il, ceux de Mme Chesterfield.
Un jour la belle venait de montrer sa jambe jusqu'au-dessus du genou : « il n'y a point de salut pour une jambe sans bas verts », déclara le duc, ce qui rendit fort jaloux Lord Chesterfield. Celui-ci relégua bien vite sa femme à la campagne, trouvant l'histoire des bas verts d'assez mauvais goût, en tout cas passablement suggestive (Hamilton, Mémoires du chevalier de Grammont).
Les bas de ce genre et de cette couleur restèrent longtemps à la mode.
Quelque treize ou quatorze ans plus tard, en 1676, Courtin dit encore dans une lettre à Louvois : « … il n'y a rien de si propre que la chaussure des Anglaises, les souliers sont justes sur les pieds, les jupes courtes et les bas de soye fort propres, les Anglaises même monstrent sans façon toute leur jambe, j'en vois souvent qui sont faites à peindre »(14).
Au XVIIe siècle, les bas sont richement brodés et colorés.
On a vu en France « les bas de couleurs foncées, gris, bleus et violets », « le bas de soie rouge à l'époque de Henri IV et de Louis XIII ». « On vit, pour les dames, les bas de couleurs voyantes, les bas rouges, les bas vert-pomme et bleu-ciel ; mais, il faut le reconnaître : d'après les Lois de la galanterie, celles et ceux qui étaient en bas de soie n'avaient point d'autres bas que d'Angleterre »(14).
Des bas bien tirés
A partir de la seconde moitié du XVIe siècle, les bas, en laine ou en soie, se portent très collants. Mais même si les bas tricotés moulaient bien la jambe, revêtir les chausses n'étaient pas des plus faciles.
« Si le haut-de-chausses et le bas-de-chausses sont si collants que l'on dirait une seconde peau, croyez que ce n'était pas sans travail que l'on arrivait à cette perfection ; il fallait, pendant un bon moment, secouer de toutes ses forces les jambes et les cuisses pour bien étendre les bas-de-chausses »(15).
Bal à la cour des Valois, peinture, école française, vers 1580 (Musée des Beaux-Arts de Rennes)
Catherine de Médicis « prenoit plaisir à voir la chausse bien tirée et tendue »(16).
« Catherine, raconte Brantôme, aymoit une de ses dames par dessus toutes les siennes et la favorisoit par dessus toutes les autres, seulement parce qu'elle luy tiroit ses chausses si bien tendues et mettoit si proprement la jarretière et mieux que toute autre».
Les jarretières
Les jarretières étaient un élément essentiel pour avoir des bas bien tirés.
Simples rubans, elles étaient «pour les grandes dames, en satin, en tissu de soie, voire même en or émaillé. Ces jarretières, parfois enrichies d'ornements en métaux précieux, s'attachaient à l'aide de boucles ou de fermoirs en argent »(17).
Jarretière de soie - Italie, fin XVIe siècle (Museum of Fine Arts Boston)
Les jarretières se nouaient en formant une rosette au-dessus ou au-dessous du genou, ou bien étaient croisées sous l'arrière du genou avant d'être attachées au-dessus du genou.
Rabelais précise dans Gargantua que « les jartières des dames estoient de la couleur de leur bracelletz etcomprenoient le genoul au dessus et au dessous. »
Jarretière en soie tricotée - Italie ou Espagne, XVIIe siècle (Museum of Fine Arts Boston)
Courtin dans sa lettre citée plus haut écrit explique que pour maintenir les bas de soie verts en vogue, « on porte au-dessus du genou des jarretières de velours noir avec des boucles de diamant» (Revue Historique)(14).
Les femmes dévoilent leurs bas
Au XVIe siècle, les femmes ne cachaient pas leurs jambes.
Catherine de Médicis, d'après François Clouet (Florence, Palazzo Pitti)
Catherine de Médicis avait de très belles jambes. « Et par ainsi, sur cette curiosité qu'elle avoit d'entretenir sa jambe ainsi belle, faut penser que ce n'estoit pour la cacher sous sa juppe, ny son cotillon ou sa robbe, mais pour en faire parade »(4). Elle aimait les montrer et incitait les autres femmes à faire de même, par des habitudes nouvelles dont elle donnait l'exemple.
C'est elle qui « détermina les demoiselles de la cour à porter des jupes plus courtes qu'on ne l'avait jamais fait jusqu'alors, afin que leurs jambes fussent plus libres pour adopter les danses vives.
Alors au lieu des airs du branle et de la pavanne, on eut les vives bourrées et les gigues, sur lesquelles les dames de la cour sautaient avec délices. Marguerite de Valois, fille de Catherine de Médicis, ayant les jambes fort belles, outra la mode des jupons courts, et sauta de manière à donner lieu à quelques aventures plaisantes et à scandaliser les vieilles dames »(18).
En outre, Catherine de Médicis, passionnée d'équitation et de chasse, d'une nouvelle technique d'équitation qui lui permettait , montant en amazone. Cette manière de monter à cheval nécessitait de « passer la jambe au-dessus de l'arçon », ce qui avantageait la reine puisqu'ainsi on pouvait voir ses jambes, ce qu'elle avait de mieux. « Cette nouvelle technique d'équitation eut un succès foudroyant(19). »
Sources :
1 - Le tricot et l'industrie de la bonnetterie, par Auguste Mortier, 1891
2 - Les métiers d’autrefois, de Marie-Odile Mergnac, Claire Lanaspre, Baptiste Bertrand et Max Déjean, Archives et Culture
3 - Histoire du costume en Occident, Edition Flammarion
4 - La vie privée d'autrefois : arts et métiers, modes, moeurs, usages des Parisiens, du XIIe au XVIIIe siècle, par Alfred Franklin, 1887
5 - Dictionnaire universel de commerce, par Jacques Savary des Brûlons et Philémon-Louis Savary, 1750 ; texte repris et complété dans Encyclopédie méthodique. Commerce. 1783-1784, par Nicolas Baudeau
6 - Manufactures, arts et métiers, par Jean-Marie Roland de la Platière, Guillaume Tell, 1785
7 - Les métiers d’autrefois, de Marie-Odile Mergnac, Claire Lanaspre, Baptiste Bertrand et Max Déjean, Archives et Culture
8 - Oeuvres complètes du seigneur de Brantôme, vol.5, Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, Louis-Jean-Nicolas Monmerqué, 1823
9 - Paraître et se vêtir au XVIe siècle : actes du XIIIe Colloque du Puy-en-Velay, publié par Marie F. Viallon, 2006, Université de Saint-Etienne
10 - Vie de la reine Anne de Bretagne, femme des rois de France Charles VIII et Louis XII, par Antoine Le Roux de Lincy, Curmer, 1860
11 - Gargantua, par François Rabelais, 1534
12 - Histoire des Français des divers états aux cinq derniers siècles, volume 6, par Amans Alexis Monteil, 1841
13 - Lettres de Marie Stuart, par A. Teulet, 1859
14 - L'influence française en Angleterre au XVIIe siècle, collectif
15 - Les derniers Valois : François II, Charles IX, Henri III, par le marquis de Belleval, 1900
16 -Oeuvres complètes du seigneur de Brantôme, vol.5, Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, Louis-Jean-Nicolas Monmerqué, 1823
17 - Revue de l'art chrétien, par l'abbé J. Corblet, 1863 : même revue, article les sandales et les bas
18 - Revue musicale, vol.3, par F.J.Fétis, 1828
19 - Les avenues de Fémynie : Les femmes et la Renaissance, par Madeleine Lazard, Ed. Fayard, 2001
Les bas féminins trouvent leur origine dans les chausses du Moyen Age, nommées ainsi à partir du VIIe siècle.
Portées aussi bien par les hommes que par les femmes, les chausses désignaient un vêtement collant qui couvrait les jambes jusqu'aux pieds et qui remplaçait les braies masculines de l'Antiquité, larges et flottantes, qui ressemblaient plus à nos pantalons d'aujourd'hui (1).
Les chausses des femmes étaient courtes, s'arrêtant au genou, tandis que celles des hommes couvraient l'ensemble de la jambe.
La sépulture d'une reine mérovingienne du VIe siècle, Arnégonde, a été retrouvée, dans laquelle étaient préservés bijoux et vêtements. La reine portait des sortes de bas en toile de laine maintenus sur le mollet par des lanières croisées, qui se recroisaient sur le devant pour rejoindre des jarretières. Ces dernières étaient fermées par des petites plaque-boucles et contre-plaques en argent, avec leurs passe-courroies, fixant ainsi les lanières en peau de veau au genou (10, 11).
Plus tard, au XVIe siècle, les chausses se sépareront en deux parties : les haut-de-chausses et les bas-de-chausses. L'abréviation du nom de ces dernières donnera celui des bas.
Les fabricants de chausses les confectionnaient en drap de lin ou de laine, selon la saison. Ils assemblaient des bandes d'étoffe taillées à la mesure de la jambe. Celles en laine, plus élastiques, moulaient plus facilement la jambe.
Ce n'est qu'au XVIe siècle que les bas tricotés apparaissent, et avec avec eux la vogue des bas de soie. Le tissu à maille, tricoté, encore appelé bas à l'aiguille, s'ajustait parfaitement à la jambe. Ce type de bas était toutefois réservé aux riches.
Il semble pourtant que des chausses tricotées aient existé au Moyen Age dès le VIIe siècle, tissées à l'aiguille et en rond, mais elles furent extrêmement rares (2, 3). L'argentier du roi de France, en 1387, précise que "trois paires de chausses de fine escarlate faictes à l'esguile" ont été achetées à un chapelier (5b).
Au XIIIe siècle, la technique était habituelle pour la confection des gants et des bonnets, mais elle avait été abandonnée pour le tissage des bas (4).
Parfois des chausses de toile se mettaient sous les chausses de drap, surtout l'été. Pour l'hiver, ces "sous-chausses" pouvaient être elles aussi en drap. "En 1448, la damoiselle Ysabeau de Bourbon, qui était une personne d'âge, portait des chausses de drap blanc sous des chaisses de drap noir" (3).
Certaines chausses étaient munies de semelles de cuir souple : les "chausses semelées". Elles étaient taillées dans du drap par les tailleurs et semelées par les coordonniers. "Lorsqu'il s'agissait de préserver les pieds de l'humidité du sol, on adjoignait aux chausses semelées des galoches ou des patins à brides de cuir" (3).
Des jarretières de toile, nouées ou fixées au moyen de boucles ou agrafes de métal, maintenaient les bas au-dessus ou au-dessous du genou.
Les chausses pouvaient être brodées, ou garnies de passementeries, voire de perles ou de pierres précieuses (6).
Leurs couleurs variaient selon les époques, mais les chausses noires étaient les plus courantes. Le vermeil, nuance rouge, était également très usité au XVe siècle. "Venaient ensuite alors, par rang de faveur, les blanches, puis plus rarement les grises, les vertes, les violettes et les bleues" (3).
Les chausses féminines étaient cependant plus discrètes que celles des hommes, moins colorées et moins ornées, puisqu'elles étaient sensées être cachées sous leurs robes.
Pourtant, il semble que ce ne fut pas toujours le cas. "En habit de palefroi (pour monter à cheval), les dames portaient des bas de riche travail et des jarretières en bijoux. (...) On comprend alors que l'usage ne s'oppôsat point à la laisser voir" (7).
Certaines jarretières étaient très luxueuses, "ornées de broderies, de perles, de diamants ; elles fermaient au moyen de riches agrafes en argent, en or, en émail. Ces boucles, ouvrages des orfèvres, offraient encore, avec de délicates ciselures, des emblèmes, des légendes et des armoiries" (8).
Léon Laborde (9) tient le même discours : "l'exercice du cheval et l'ensemble un peu brusque des habitudes découvraient souvent la jambe ; aussi les bas de chausses étaient-ils richement brodés et les jarretières de véritables bijoux".
Ce qu'il illustre ensuite avec la description des jarretières des duchesses d'Orléans au XVe siècle :
En 1400, les jarretières de Valentine Visconti sont taillées dans des "tissus de fine soye azurée", garny d'argent doré, c'est assavoir, quatre blouques, quatre mordans et pour seize petits besans à faire fermeures (fermoirs) d'argent doré".
En 1455, Marie de Clèves se fait faire par un orfèvre des "jartières d'or", "esmaillées à larmes et à pensées" (9c).
Au XIVe siècle, les comptes tenus par les argentiers des rois de France nous instruisent sur les bas que portaient les reines de ce siècle.
Ainsi, Jeanne de Bourgogne, en 1316, se faisait tailler des chausses de drap "pers" (bleu) (5a).
En 1352, on fit faire pour Blanche de Bourbon des chausses de "pers azuré" à l'occasion de son mariage avec le roi de Castille.
En 1387, la reine Isabelle de Bavière portait des bas de laine « escarlate morée sur le brun », qu'elle liait avec des jarretières « de satin azur des foibles » fermées par des boucles, mordants et clous « d'argent doré fin vermeil », « lesquels cloux, blouques et mordant sont esmaillés à K et à E » (Karolus et Elisabetha) (5b).
Au XVe siècle, les chausses devaient être bien tirées, et pour cela elles étaient faites sur mesure. Les pauvres se contentaient de chausses moins ajustées (3).
Olivier de la Marche nous décrit en 1501 la toilette des dames de son temps (12).
Selon lui, les chausses doivent être de drap fin, et être bien tirées au moyen de jarretières faites du même drap qui a servi pour les chausses.
"Faites venir un maistre chaussetier,
Pour faire chausses bien expert et habille,
Qui soient du drap le plus fin de la ville ...
(...)
"Mais il convient avoir l'oeil et regart
Que les chausses qui sont si bien tirées
Soyent tenues gentement, et gardées
De jarretiers, par façon et par art,
Que la chausse demeure de sa part
Ferme en la jambe, sans tumber ou desmettre.
Sans jarretier ne peult une dame estre.
Le jarretier se fait communément
Du propre drap couvrant la jambe nue.
Le jarretier lye estroictement,
La chausse va si bien et proprement
Qu'elle ne bouge, ne descend ou remue".
Sources :
Paraître et se vêtir au XVIe siècle : actes du XIIIe Colloque du Puy-en-Velay, publié par Marie F. Viallon, 2006, Université de Saint-Etienne
Encyclopédie méthodique. Commerce. 1783, par Nicolas Baudeau
Jeanne d'Arc, son costume, son armure : essai de reconstitution, Adrien Harmand, Ed.Leroux, 1929
La vie privée d'autrefois : arts et métiers, modes, moeurs, usages des Parisiens, du XIIe au XVIIIe siècle, par Alfred Franklin, 1887
Comptes de l'argenterie des rois de France au XIVe siècle, par Louis Douët d'Arcq, 1851 (voir ci-dessous le détail des notes 5a et b)
Encyclopédie médiévale, par Viollet-le-Duc
Causeries d'un curieux, par Félix-Sébastien Feuillet de Conches, 1857
Le livre des collectionneurs, par Alphonse Maze-Sencier, 1885
Les dossiers de l'archéologie n°32 (janvier/février 1979), extrait de l'article de Michel Fleury et Albert France-Lanord : « La tombe d'Arégonde »)
Les jarretières d'Arégonde – Par Maequita Volken (Gentle craft, Lausanne)
Le Parement des Dames, Olivier de la Marche, manuscrit publié en 1501
(5 a- Compte de l'argenterie de Geoffroi de Fleuri, retranscrits par Louis Douët-d'Arcq et publiés en 1851)
(5a) Pour les 6 derniers mois de l'année 1316, "6 aunes de pers" (bleu) ont été achetés à "dame Ysabiau de Tremblay, drapière", "pour faire chauces pour la Royne (Jeanne de Bourgogne) et ses filles, avant d'être "faites par Jehan le Bourguignon, tailleur de madame la Royne".
A l'occasion des « noces et espousailles » de Blanche de Bourbon avec le roi de Castille en 1352, le roi a fait acheter à « Pierre de la Courtneuve, pour 8 aunes d 'un pers azuré de Broisselles » (Bruxelles), pour « faire chauces pour ladicte dame la Royne »(a).
(5 b- Compte de l'Argenterie du Roi du terme de la St Jean en 1387, retranscrits par Louis Douët-d'Arcq et publiés en 1851)
Des « draps de laine, pour le corps de Madame la Royne » Isabeau de Bavière, sont achetées auprès d'Aubelet Buignet, drapier : « deux aulnes d'escarlate morée sur le brun de Rouen »pour « pour faire six paires de chausses pour ladicte dame, et baillé audit tailleur, Pierre pour ce faire ».
A « Pierre l'Estourneau, tailleur et varlet de chambre de madame la Royne de France » : « pour la façon de 6 paires de chausses faictes de deux aulnes d'escarlate morée, pour la dicte Dame ».
Des « draps d'or et de soye pour le corps de madame la Royne » sont achetés « à Robert Thierry, mercier : « demie aulne de satin azur des foibles », « un quartier de satin azue des foibles », et « un quartier de satanin azur », « pour faire des jartières à lier les chausses de ladicte dame ».
Orfèvrerie achetée « pour madame la Royne à Simmonet le Bec » : « pour cinq onces d'argent doré fin vermeil, par lui mis et emploié és blouques (boucles) et mordans et en plusieurs clox (clous) d'argent dorez pour la ferreure de deux jartières de satin azur, pour lier les chausses de madame la Royne. Lesquels cloux, blouques et mordant sont esmaillés à K et à E (Karolus et Elisabetha). Pour ce, pour argent, dorer et façon, aux pris de 32 parisis l'once ».
(9 c- Notice des émaux, bijoux et objets divers, exposés dans les galeries du Musée du Louvre. Documents et glossaire, par Léon Laborde, édité par Vinchon, imprimeur des Musées nationaux, 1853)
A Jeahan le Conte, orfèvre, - pour quatre tissus de fine soye azurée, pour faire deux paires de jarretières pour ma dicte Dame (la duchesse d'Orléans) et pour yceulx avoir garny d'argent doré, c'est assavoir, quatre blouques, quatre mordans et pour seize petits besans à faire fermeures d'argent doré (Ducs de Bourgogne, 1400)
A Jehan Lessayeur, orfèvre, pour avoir fait deux jartières d'or pour madame la Duchesse (d'Orléans), esmaillées à larmes et à pensées" (Ducs de Bourgogne, 1455).
Le corset se met par-dessus la chemise. Ouvert largement, il est appliqué sur le buste, puis resserré au plus près du corps de manière à affiner la taille.
Le corset s'ouvre sur le devant, et attaché au moyen d'agrafes en rejoignant les deux parties qui composent le busc. Il est ensuite serré par le laçage au niveau du dos.
« En mettant le corset le matin, lorsque vous vous levez, ne le serrez pas trop, laissez le corps se caser, se mettre à l'aise et serrez progressivement le lacet ; vous arriverez ainsi, en ayant soin de vous corseter tous les jours régulièrement, à gagner quelques centimètres et à retarder la marche de l'embonpoint» *.
Sources :
* L'art de se corseter, dans L'art d'être jolie, novembre 1904
Images : Collection Maciet sur le site des Arts Décoratifs
A la Belle Epoque, entre la fin du XIXeme siècle et la 1ere guerre mondiale, le corset subit des modifications en fonction de l'évolution des modes.
Le corset en sablier qui accompagne la tournure, se transforme pour modeler la femme en un "S", puis s'allonge progressivement et atténue les courbes.
Le corset cambré devant : silhouette en sablier
Dans les années 1890, le corset donne à la femme la forme d'un sablier, à la taille étranglée à la manière d'une guêpe, le corps étant séparé en deux parties distinctes autour de ce que l'on nomme « la taille de guêpe ».
Ce corset, appelé « corset cambré devant », serre la taille, suivant l'arrondi du ventre avec son « busc cuillère », et laisse beaucoup de place au bas-ventre et aux hanches. Il rehausse le fessier et accentue la cambrure.
Il remonte très haut, enveloppe le thorax et l'abdomen, comprimant le premier à sa base et repoussant le second du haut vers le bas.
« Il étrangle les organes à la base du thorax, rapproche la paroi antérieure du corps de la colonne vertébrale et paralyse les fonctions des muscles droits, leur enlève leur élasticité et rend ainsi plus difficiles les mouvements de flexion en arrière, de droite à gauche et de gauche à droite. En outre, il refoule de haut en bas la masse intestinale, provoquant par le relâchement de la paroi abdominale la saillie du ventre en avant ».(1)
Le corset droit devant : silhouette en "S"
Peu à peu la tournure disparaît, les robes sont ajustées et soulignent la rondeur des hanches, ce qui nécessite les contrôle des lignes d'un corps désormais rendu visible(2).
En cette fin de XIXeme siècle, une mode nouvelle apparaît. Le volume donné par le bas du costume n'existe plus, ce qui a pour conséquence un corps féminin différent, plus fluide et plus long, à la silhouette serpentine : la poitrine est basse et généreuse, la taille est fine et le ventre est plat, les reins sont très cambrés et les fesses en arrière, le devant du buste est très droit.
Un nouveau corset est alors créé : le « corset droit devant », « corset sans ventre »,ou « corset abdominal », comme le nomme Inès Gaches-Sarraute. Ce corset fait disparaître toute rondeur au niveau du ventre, en écrasant l'abdomen d'avant en arrière. Il descend très bas jusqu'au pubis et enveloppe les hanches. Il monte moins haut et libère la poitrine qui est mise en valeur (3).
Le busc est très droit et très rigide. Il appuie sur l'aine, ce qui incite la femme qui le porte à se cambrer et à projeter le buste en avant. Cette cambrure extrême en « S », d'autant plus accentuée par le laçage souvent bien trop serré, caractérise alors l'idéal du corps féminin.
"L'engouement pour cette nouvelle cuirasse la fit bientôt adopter par la mode. Nouvel appareil de torture qui les empêchaient de s'asseoir et leur donnait, surtout avec les hauts talons, assez bien la marche du kangourou, dont les membres supérieurs semblent destinés à éviter une chute en avant.
Nous avons vu la marche des « entravées » ne pouvant lever le pied pour monter en voiture, allonger le pas pour franchir une flaque d'eau, et leur donnait la marche du pingouin.
Il aplatit l'abdomen, dont les organes sont, les uns écrasés dans la cavité pelvienne, les autres rejetés en haut où ils refoulent l'estomac, le foie, le coeur, les poumons, qui ne peuvent plus accomplir normalement leurs fonctions. Enfin, savamment appliquée sur les reins et les hanches, la cuirasse projette en arrière des parties souvent trop charnues »(4).
« Sa rectitude exagérée déprime le ventre et dirige les organes en arrière, vers la colonne vertébrale : ceux-ci sont bientôt forcés de redescendre, par la compression de la taille. La silhouette féminine ressemble ainsi à un croissant et la femme, incapable de se plier, revêt une allure de gallinacée (poule) »(5).
Paul Poiret dit de ce corset que « les femmes sont divisées en deux masses distinctes, d'un côté le buste et la poitrine, et de l'autre, toute une masse vers l'arrière, de sorte que la femme semble traîner une remorque ».
Le corset s'allonge : la silhouette s'affine
Vers 1905, le corset se modifie, et le corps féminin aussi.
Le corset est de plus en plus long, avec un busc qui descend plus bas et vient envelopper les hanches jusqu'aux cuisses, rendant la position assise très pénible. Les hanches deviennent ainsi plus étroites et sont dissimulées, la silhouette s'affine et s'allonge.
La cambrure reste quelques années très accentuée, avant de s'estomper peu à peu.
« Dès 1907, la ligne « S » est en perte de vitesse et laisse place à des lignes plus épurées. La silhouette retrouve des formes proches de celles de l'Empire avec la taille haute, la poitrine effacée et les hanches étroites, donnant à la femme l'aspect d'un tube. Cette nouvelle mode marque la fin du laçage serré à la taille, mais nécessite l'aplatissement des hanches et des fesses, donc le port d'un corset bas sur les hanches, plat devant et rigide. La mollesse est rendue au buste grâce à l'invention du soutien-gorge.
Cette liberté du corps est favorisée par des spectacles dans lesquels le corps des femmes évolue sans contrainte sur scène. Conscients de ces évolutions, les couturiers Paul Poiret, Madeleine Vionnet et Nicole Groult contribuent à la suppression de la ligne sinueuse. Ces innovations font leur apparition au même moment que l'engouement nouveau pour les danses latino-américaines (tango, charleston) qui nécessitent justement un corps en liberté. Par ailleurs, l'émergence d'une classe moyenne qui travaille, demandeuse de vêtements plus fonctionnels, contribue à cette cette simplification des formes »(6).
La fin du corset : la gaine
La forme du corset évolue ainsi au gré des modes, jusqu'aux années 1920 où il laisse la place à la gaine.
La Première guerre mondiale annonce la fin du corset et des dessous compliqués, avec la nécessité pour les femmes de nouvelles activités, qui demandent souplesse et liberté de mouvements.
« Avec la Première Guerre mondiale, la ligne se simplifie encore et on renonce au volume. Le corset est réduit et insoupçonnable »(6).
(L'histoire des sous-vêtements féminins, Muriel Barbier et Shazia Boucher, 2010, Parkstone Press International)
Mais c'est dans les années 1925 à 1930 que le corset baleiné disparaît vraiment(7).
« La guerre finie, on s'aperçut soudain qu'on avait changé de siècle. Les femmes, en l'absence des hommes, avaient conquis quelque indépendance et voulaient des toilettes plus pratiques … Le goût du sport se répandait dans toutes les classes et, avec lui, celui de la nudité et du soleil.
Après les grandes secousses, tout fut porté à l'extrême. Les modes n'y échappèrent pas. Les jupes raccourcirent un peu, puis trop, et en 1928, elles couvraient à peine le genou. Les corsets s'envolèrent, la taille glissa jusqu'aux hanches. A la robe-sac répondit la disparition de la lingerie. Le corps même se transforma »(8).
Sources :
Le costume français, ouvrage collectif, Editions Flammarion, 2002
Histoire du costume en Occident, par François Boucher, Editions Flammarion, 2008
(1) La femme et le corset, article du Dr Degoix paru dans Les Modes en décembre 1915
(2) Histoire de la beauté, Georges Vigarello, Paris Seuil, 2004
(3) Le costume dans tous ses états ici et là
Sur ce même site : photos de l'expo « Le corset ou l'élégance contrainte » (Musée de Vire)
(4) La femme et le corset, article du Dr Degoix paru dans Les Modes en décembre 1915
(5) Pour le beau sexe : conseils d'un vieux spécialiste, par le Dr E. Monin, 1914
(6) L'histoire des sous-vêtements féminins, Muriel Barbier et Shazia Boucher, 2010, Parkstone Press International
(7) Force et beauté : Histoire de l'esthétique en éducation physique aux 19e et 20e siècles, Gilbert Andrieu, Presses Universitaires de Bordeaux, 1992
(8) Histoire de la mode, Jacques Wilhelm,1Hachette, 955
Sources images :
Collection Maciet sur le site des Arts Décoratifs