Je débute ce soir une série d'articles sur la mode des années trente, une mode portée par des femmes nées il y a plus d'un siècle, et qui marqua à jamais la mode jusqu'à nos jours.
Photos, illustrations, et même patrons pour celles qui manient l'aiguille. Vous admirerez l'élégance de cette époque, avec des coupes et des motifs qui étaient alors très nouveaux mais qui ont inspiré depuis les couturiers de toutes les décennies.
Source images : Les Modes, 1935
Image 1 : Robe d'après-midi en crêpe noir et blanc, ceinture et manchette en cuir laqué noir entrelacé d'un gros cordonnet de soie rouge vermillon - Worth 1945
Image 2 : Robe du soir en satin noir imprimé d'or - Callot 1935
Mémoires d'un violon est le deuxième court-métrage de Jérémy Circus. Son héroïne est Alice Prin, plus connue sous le nom de Kiki de Montparnasse, icône du Paris des années trente. Le film évoque en particulier sa relation passionnée avec le photographe Man Ray.
Sur une période de dix années, de 1928 à 1938, Jérémy Circus joue avec le temps et mêle les événements de sa vie pour les réunir en un instantané et dresse ainsi le portrait d'une femme extraordinaire, passionnée, tout à la fois muse et artiste. Femme de caractère, elle est aussi une femme fragile, et elle sombre peu à peu dans les ravages de la drogue et de l'alcool.
Kiki de Montparnasse
Le film est encore dans sa phase de préparation, et vous pourrez voir quelques making-of sur le site tout au long de sa réalisation.
Pour suivre le projet, et éventuellement y participer : la page Facebook du film.
Le Violon d'Ingres par Man Ray, 1924
Photos des acteurs et affiche : Guillaume Raulin
Pour le dernier volet de ce dossier sur ce petit Théâtre de la Mode, en voici les quatre derniers décors.
9 - Le Jardin Merveilleux de Jean-Denis Malclès
Jean-Denis Malclès était lui aussi créateur de décors et costumier, ainsi que peintre et affichiste.
Jean-Denis Malclès
Il inventa pour le Théâtre de la mode un jardin merveilleux en carton coloré, qui rappelle le Pays des Merveilles d'Alice.
Un grand arbre domine la scène, et dans son tronc se niche une petite porte d'où s'échappe une femme. Une autre saute sur un trampoline, les bras vers le ciel, et l'on imagine le son de ses éclats de rire. En haut de quelques marches : une terrasse où se tient une danseuse. Un soleil métallique est accroché comme une enseigne lumineuse au-dessus de leurs têtes.
Reconstitution de 1990 (Museum de Maryhill)
10 – Un salon de style de Georges Geffroy
Georges Geffroy était un décorateur d'intérieur très réputé.
Il présente dans ce tableau des dames en robe longue dans un salon richement décoré : tapisserie raffinés, statue de cheval, rideaux aux fenêtres, vases logées dans des niches, moulures, plafond ouvragé … Les dames conversent, tandis que l'une semble attendre quelqu'un au-dehors, jetant un oeil discret derrière les rideaux.
11 – Croquis de Paris de Jean Saint-Martin
Pour illustrer Paris, Jean Saint-Martin esquisse un croquis de fil de fer avec la même technique que pour le corps des poupées, donnant forme aux silhouettes parisiennes si reconnaissables : le Sacré-Coeur et le Moulin de la Galette, les toits et les façades des immeubles hausmaniens apparaissent en contre-jour.
Reconstitution de 1990 - Musée de Maryhill
12 – Le Carrousel de Joan Rebull
Joan Rebull
Le sculpteur n'a pas seulement modelé les visages des poupées. Il a donné vie à un manège fantastique de sirènes et de centaures, aux pieds desquels dansent au rythme du carrousel. A son sommet, des bustes de fillettes soutiennent l'ensemble.
Voici aujourd'hui quatre nouveaux décors du Théâtre de la Mode présenté en 1945. Je vous souhaite une très belle promenade dans ce monde miniature ...
5 – La rue de la Paix et la place Vendôme de Louis Touchagues
Louis Touchagues était peintre, dessinateur, illustrateur. Il réalisa des décors et costumes de théâtre et fut également connu pour organiser et décorer de grandes soirées.
Louis Touchagues (à droite)
Les élégantes figurines déambulent rue de la Paix, adresse prestigieuse aux boutiques de luxe.
«Pour la coquette, la rue de la Paix, c'est la rue de la joie, la merveille des merveilles, le joyau inimitable de Paris. Boutiques de maroquiniers, bottiers, papetiers pour les plus belles lettres d'amour, chemisiers pour mararadjahs, antiquaires et illustres soyeux (...). La rue de la Paix c'est en plus, de la vie ardente, des passantes princières, et le pépiement de volière des midinettes gouailleuses »(Lucien François) (1).
Reconstitution de 1990 - Museum de Maryhill
6 – La Grotte Enchantée d'André Beaurepaire
André Beaurepaire est âgé d'à peine 20 ans quand il est repéré en 1945 par Christian Bérard.
Il était peintre, scénographe, illustrateur, et il fut un des artistes marquants de l'après-guerre.
André Beaurepaire
Le jeune André Beaurepaire créa un décor à partir d'éléments d'une maquette photographiée et agrandie.
La lune immense éclaire la scène en noir et blanc et les belles en robes longues qui déambulent telles des fantômes dans ce palais tourmenté. Trois femmes semblent danser une ronde.
Des drapés s'enroulent autour des colonnes antiques comme des volutes de fumée. Des volées de marches et une porte encadrée de caryatides suggèrent l'entrée de la grotte.
Reconstitution en 1990
7 – Le Port de nulle part de Georges Wakhevitch
Georges Wakhevitch était un créateur de décor de cinéma et costumier d'origine ukrainienne, arrivé de Russie dans les années 1920.
Georges Wakhévitch
« Wakhevitch ouvre les portes de l'aventure, et laisse se dérouler le cortège des voyageuses entre les ruines d'un colisée et les mâts d'un navire entoilés de couleur »(2).
8 – L'Ile de la Cité, de Georges Douking
Georges Douking était créateur de décor et costumier.
La scène représente les bords de Seine et l'île de la Cité, sur lesquels retombent de grands rideaux blancs qui figurent la brume montants des eaux de la rivière. A l'arrière, on devine la silhouette de Notre-Dame. C'est dans ce tableau que se tient un groupe de jeunes filles qui se tiennent par la main comme pour une farandole.
Reconstitution de 1990 (Museum de Maryhill)
(à suivre ...)
Sources :
(1) « Paris tel qu'on l'aime », Editions Odé, 1949
(2) Le Théâtre de la Mode, article de Roger-M.Chenavard, 1945
Les décors du Théâtre de la Mode méritent bien un article spécial (et même trois, finalement). Les tableaux de l'exposition, au nombre de douze pour la première version, ont été créalisés par des artistes et décorateurs de théâtre, mettant eux-même la main à la pâte pour les plus petits détails, à partir de maquettes fabriquées au préalable.
Les deux cent petites poupées sont ainsi présentées dans douze petites tscènes dont la mise en scène et les éclairages sont réalisés par Boris Kochno.
Parmi ces tableaux, les uns représentent des scènes d'un Paris aujourd'hui disparu, un Paris à la fin de la guerre dans les années 1940, des lieux fétiches des élégantes parisiennes. Ce sont la Place Vendôme et la rue de la Paix, les jardins des Champs-Elysées, l'Ile de la Cité et les galeries du Palais Royal. Ces tableaux sont empreints de sobriété et de gravité, témoignant de l'atmosphère qui régnait alors à Paris.
Aux leurs côtés sont présentées des scènes surréalistes et fantastiques : un carrousel de sirènes, un jardin baroque imaginaire, ou encore cette vision digne d'un cauchemar donnée par Jean Cocteau.
1 – Le Théâtre de Christian Bérard
Christian Bérard est en quelque sorte le chef d'orchestre du Théâtre de la mode. Coqueluche des théâtres parisiens, il était à la fois peintre, illustrateur, scénographe, décorateur et costumier. Il était l'un des principaux créateurs de décors et de costumes dans les années 1930 et 1940, pour le théâtre, le ballet, l'opéra et le cinéma.
Il travaille dès 1930 avec Jean Cocteau et Louis Jouvet. Parmi ses réalisations, la plus célèbre demeure la conception des décors et des costumes du film de Jean Cocteau La Belle et la Bête, en 1946.
Christian Bérard
Christian Bérard reconstitue un théâtre de marbre aux immenses rideaux de velours rouge s'ouvrant sur une belle nuit étoilée. Un grand lustre de cristal domine le tableau, et des rampes de théâtre éclairent la scène.
Sur la scène comme dans les loges, les robes du soir habillent les poupées comme les danseuses d'un ballet merveilleux, et leurs bras sont gracieusement disposés pour simuler les mouvements de la danse. Les spectatrices aux balcons portent des chapeaux et des coiffes ornés de plumes ou de fleurs blanches.
Le Théâtre de Christian Bérard côté scène (montage photo Cameline)
Le Théâtre de Christian Bérard côté scène (montage photo Cameline)
Reconstitution en 1990
2 – Ma Femme est une Sorcière de Jean Cocteau
Jean Cocteau est un des artistes qui ont marqué son siècle. Poète avant tout, il était aussi dessinateur, illustrateur et cinéaste.
Jean Cocteau (à droite)
Il réalise cette scène en un hommage surréaliste au film de René Clair du même nom. « C’est une chambre de bonne incendiée. Par les trous du plafond et des murs on découvre une vue de Paris prise à vol d’oiseau. Cela donne le vertige. Sur un lit de fer je coucherai, à la renverse, une mariée évanouie. Derrière elle, plusieurs dames debout et consternées. À droite, premier plan, une dame très élégante se lave les mains à un lavabo d’hôtel borgne. Par la porte d’extrême gauche, arrachée de ses gonds, une dame entre et lève les bras en l’air. Plusieurs autres sont plaquées contre le mur ou grimpées sur un canapé dont le crin sort. Le spectacle qui provoque une catastrophe est une sorcière en robe de mariée, à cheval sur un balai, qui s’envole par le trou du plafond et dont les cheveux et la traîne volent »(1).
Reconstitution en 1990
3 – Le Palais Royal d'André Dignimont
André dignimont était illustrateur, peintre et graveur.
La scène représente des jeunes femme endimanchées pour une promenade d'après-midi dans les galeries du Palais Royal qui bordent le jardin. Derrière les grilles on aperçoit les tilleuls du parc ainsi qu'un manège aux chevaux de bois. On peut imaginer les cris des enfants qui jouent et les chants d'oiseaux. « Au coeur du quartier le plus animé de Paris, le Palais-Royal est un îlot de verdure et de silence. Ses voûtes franchies, le calme tout à coup succède au fracas des rues voisines »(Jacques Wilhem)(2).
Reconstitution en 1990
4 – Champs-Elysées de Emili Grau-Sala
Emili Grau-Sala était un peintre et illustrateur catalan. Il a réalisé des lithographies, des gravures et des affiches, et a illustré plusieurs romans.
Emili Grau-Sala dans son décor à côté de sa maquette
Emili Grau-Sala et Joan Rebull
La scène de Grau-Sala nous présente les jardins des Champs-Elysées un matin de printemps en 1945. Avec ses larges allées ombragées plantées de marronniers et de platanes, ses lampadaires et ses colonnes Moris annonçant un bal, ses fiacres.
« Dans l'ombre verte des marronniers en fleurs, voici le rond-point des Champs-Elysées (…). Il y a toujours des fiacres en station avec leurs essieux et leurs rayons peints comme des roues de loterie (...). Les Champs-Elysées encouragent la marche à pied de même qu'à l'époque où Guy de Maupassant assistait aux sérénades de moineaux dans les feuilles et aux jeux d'enfants qui maçonnaient des buttes de sable à pleine mains » (Paul Gilson)(2).
Rond-point des Champs-Elysées - Emili Grau-Sala
(à suivre ...)
Sources :
(1) Jean Cocteau, « Journal 1942-1945 »
(2) « Paris tel qu'on l'aime », Editions Odé, 1949
Affiche de l'exposition (Christian Bérard, 1945)
L'exposition parisienne
Le 27 mars 1945, le Théâtre de la Mode ouvre ses portes au public parisien. L'exposition se tient au Pavillon Marsan du Musée du Louvre.
Marcel Rochas devant l'entrée de l'exposition
Rue de Rivoli, la foule se presse à l'entrée du Pavillon, encadrée de gardes républicains. Passé la porte, les visiteurs sont accueillis par des jeunes filles qui distribuent les programmes du spectacle.
Programme de l'exposition - Illustration de Jean Cocteau
« La foule était compacte, joyeuse aussi, car elle pouvait enfin se distraire après un hiver odieux au cours duquel Paris avait grelotté de froid, le ventre vide. L'envie d'être émerveillé se mesurait aux regards pétillants et aux chuchotements admiratifs. On était venu pour voir et être vu, comme aux plus belles heures de la saison parisienne. Des voilettes sur les yeux, les femmes gardaient leurs fourrures sur les épaules. »(1)
Le spectacle est magique. Une immense salle tendue de velours rouge ouvre l'exposition avec un théâtre peuplé des petites poupées vêtues de robes de soirée, les unes sur la scène, les autres au balcon, le tout éclairé par des rampes de théâtre. Puis ce sont deux salles successives décorées de tentures rouges, vertes et blanches, dans lesquelles sont nichées onze scénettes, « autant d'écrins d'une somptueuse et rare harmonie de couleurs »(2)
Le Théâtre de Christian Bérard
Le Carrousel de Joan Rebull
« Un carrousel de sirènes et de chevaux côtoyait une grotte enchantée, les grilles du Palais-Royal voisinaient avec les façades de l'île de la Cité (...). Les seules lumières provenaient des maquettes, ce qui donnait à la réception une légèreté enivrante »(1). Le tout enveloppé par la musique de Henri Sauguet, compositeur de musiques de ballets.
Les spectateurs déambulent émerveillés dans un silence religieux, s'amassant autour des décors.
« Le temps d'une visite, on oublie que la pénurie est toujours là, frappant la quasi-totalité de la population, pour applaudir aux dernières réalisations de la couture. »(3)
Après quatre longues années d'Occupation, les Parisiens, en manque de distractions et assoiffés de luxe et de beauté, accourent jour après jour au Pavillon Marsan.
Le succès est immense. Le tout Paris est là. Plus de cent mille visiteurs viennent admirer le Théâtre et l''Entraide Française n'obtient pas moins d'un million de francs en quelques semaines. Une véritable petite fortune en ces temps difficiles.
Par cette manifestation, la Chambre Syndicale de la Haute Couture donne l'espoir d'un renouveau possible, montrant aux Parisiens qu'en cette période trouble et même si la guerre n'est pas terminée, la vie peut reprendre son cours.
De même, le Théâtre de la Mode prouve au public que la Haute Couture française n'est pas morte. Il se révèlera la manifestation la plus représentative de la splendeur de la mode parisienne.
La tournée
Après un tel succès, il est décidé de poursuivre l'exposition à travers l'Europe : Londres, Barcelone, Stockholm, Copenhague, Vienne.
Affiche de l'exposition de Londres en 1946
« Après avoir été admirées, fêtées par le Tout Paris, les Ambassadrices de la Mode, couchées dans des coffres moelleux, vont s'endormir pour traverser les mers … Elles se réveilleront sous des cieux lointains, elles redresseront leurs petits bras frêles, feront bouffer leurs robes satin couleur du temps. »(4)
L'Officiel de la Mode n°291-292 de 1946
Au printemps suivant en 1946, le Théâtre se prépare à poursuivre sa tournée vers les Etats-Unis. Dans l'espoir de reconquérir le marché américain, la Haute Couture parisienne revêt les petites poupées d'habits neufs issus de la collection printemps-été 1946. Et pour ajouter à leur beauté, de grands noms de la bijouterie, dont Van Cleef & Arpels, Cartier, Mauboussin, Lesage et Chaumet, leur offrent des bijoux à leur taille.
Bijoux Cartier, Van Cleef & Arpels, Mauboussin (Affiche de Lucha Truel pour le Théâtre de la Mode)
New-York, San Francisco. « Eblouie, l'Amérique découvre après la France et L'Europe que la mode française n'a rien perdu de sa vitalité et qu'elle est toujours à l'avant-garde. »(3)
Après l'exposition
L'exposition terminée, les bijoux repartent à Paris, tandis que les décors sont perdus ou détruits.
Les poupées et leurs costumes sont alors stockés dans les caves du grand magasin de City of Paris à San Francisco.
Oregon Journal - 30 juillet 1952
En 1952, les poupées du Théâtre de la mode terminent leur voyage au Museum of Art de Maryhill à Goldendale, près de Washington. Quant aux tenues présentées en 1945, elles ont toutes disparu.
Une nouvelle tournée
Préparation de l'exposition de la seconde tournée - Starbulletin.com
Quarante-cinq ans plus tard, de 1990 à 1995, le Théâtre de la Mode est ressuscité pour une nouvelle tournée de sept ans, en commençant par le Pavillon Marsan, puis à New-York, Baltimore, Portland, Honolulu, Tockyo, Londres ... Pour cette occasion, de longues années ont été nécessaires pour reconstituer les décor et restaurer les quelques cent soixante-dix poupées restantes.
Alors « les belles endormies se sont réveillées dans leurs toilettes des collections printemps-été 1946 et, avec elles, la nostalgie d'un passé défunt. »(3)
Eliane Bonabel en 1990
C'est cette version du Théâtre de la Mode que vous pouvez aujourd'hui admirer au Museum of Art de Maryhill.
Sources :
(1) Tous les rêves du monde, Par Théresa Révay, Ed.Belfond, 2010
(2) Le Théâtre de la Mode, article de Roger-M.Chevenard, 1945
(3) Le Théâtre de la mode ou le renouveau de la couture création à la Libération, par Dominique Veillon (Vingtième siècle. Revue d'histoire. Année 1990)
(4) L'Ambassade de la Mode, par P. Schall
En 1945 deux cent petites poupées vêtues par les plus grands couturiers parisiens vont devenir les ambassadrices du renouveau de la Haute Couture française.
Dans la France en ruine, le projet du Théâtre de la Mode, initié pour venir en aide aux victimes de la guerre, se révèlera un événement décisif de l'histoire de la haute couture française.
Paris, octobre 1944. Deux mois après la Libération de Paris, alors que la guerre n'est pas encore terminée, la France est durement touchée par les pénuries et les restrictions, et le climat particulièrement froid de l'hiver 1944 augmente encore les difficultés du quotidien.
Avant guerre, la Haute Couture française vivait une période florissante, avec près de soixante-dix grands couturiers parisiens, mais la guerre y a mis un terme. Le secteur de la mode n'a pas été épargné par la guerre et l'Occupation. De nombreuses maisons de couture ont fermé ou sont à l'agonie.Fuite d'une grande partie de leur clientèle, ralentissement des échanges internationaux,auxquels s'ajoute la tentative des Nazis de déplacer la capitale de la mode à Berlin et à Vienne.
Pourtant , malgré cette ambiance de rigueur, la Libération avait apporté l'espoir de temps meilleurs, et les couturiers sont prêts à apporter un nouveau souffle à l'industrie de la mode.
Naissance du projet
Dans le but de recueillir des fonds pour les victimes de la guerre, l'Entraide Française demande à Lucien Lelong, président de la Chambre Syndicale de la Haute Couture Française, de mettre en place une vaste opération qui participerait également à la promotion de la mode parisienne.
Lucien Lelong
Lucien Lelong en confie l'organisation à Robert Ricci, fils de Nina Ricci, et à Paul Caldaguès, journaliste de mode.
Le premier a l'idée d'une présentation de la mode à travers un petit théâtre constitué de plusieurs scénettes. C'est le second qui imagine de petites poupées habillées par de grands couturiers.
Ainsi l'idée du petit Théâtre de la Mode prend forme, dont la taille se prête mieux qu'un défilé grandeur nature aux conditions difficiles de l'époque.
Le choix du directeur artistique se porte sur l'artiste aux multiples talents Christian Bérard, qui travaillera aux côtés de Boris Kochno. Peintre et illustrateur, scénographe, décorateur, costumier, Bérard est un des favori des cercles parisiens à la mode, et c'est à ses amis artistes qu'il fait appel pour concrétiser le projet. Onze artistes qui vont créer une dizaine de décors différents, mélange cosmopolite de noms prestigieux et de jeunes prodiges, de Français et de réfugiés venus d'Espagne et de Russie,. Tous ensemble ils vont associer leurs talents dans un même projet.
Christian Bérard et Boris Kochno
Conception des poupées
La création des petites poupées est confiée à la jeune illustratrice Eliane Bonabel.
Elle dessine alors des petites poupées dont la quasi transparence des corps mettra en valeur vêtements et accessoires.
Eliane Bonabel
A partir de ces croquis, le sculpteur Jean Saint-Martin crée en fil de fer les corps des poupées, tout en légèreté et souplesse. Ce matériau est aussi choisi pour sa grande disponibilté dans les rues de Paris après l'Occupation des Nazis.
Sous les mains du sculpteur, le fil de fer est tordu, étiré, plié, soudé, pour former peu à peu des petits corps de femmes de xoixante-dix centimètres de hauteur.
Jean Saint-Martin
Jean Saint-Martin et Eliane Bonabel
Les visages des poupées sont sculptés en plâtre par Joan Rebull, réfugié catalan. Blancs et sans maquillages, elles ont l'air de statues mélancoliques.
Joan Rebull
Enfin, pour parfaire l'ensemble, de grands noms de la coiffure élaborent des coiffures différentes pour chacune des poupées.
Les poupées ainsi faites seront habillées, chaussées, avant de prendre place dans les petites scènes aux décors merveilleux, pour former un spectacle qui semble sorti d'un rêve.
Conception des costumes et accessoires
Une quarantaine de maisons de couture sont appelées à participer à l'opération, dont les prestigieux Elsa Schiaparelli, Jacques Fath, Jean Patou, Marcel Rochas, Hermès, Nina Ricci, Balenciaga, Worth, Carven, Jeanne Lanvin, Madame Grès, Pierre Balmain, Jacques Fath, et bien d'autres.
Jacques Fath
Madame Carven
Maggy Rouff
Marcel Rochas
Nina Ricci
Robert et Nina Ricci
Chaque couturier va fournir gracieusement les tissus et autres matériaux, et s'engage à produire bénévolement une à cinq tenues. Au total, 170 tenues présenteront le nouveau style de 1945
L'ensemble de leurs employés sont impliqués dans le projet.
Une trentaine de modistes des plus talentueux vont confectionner de petits chapeaux à l'échelle des poupées, ajustés sur des minuscules moules en bois, coupés et recoupés pour s'ajuster au millimètre près sur les petites têtes.
Au final, toilettes de ville, d'après-midi, du soir, et chaque accessoire qui les accompagne, sont réalisés avec minutie pour en faire des répliques exactes, versions miniaturisées des modèles originaux. Aucun détail ne manque, tout est réalisé à la perfection.
Les finitions sont extrêmement soignées. Des dessous de soie sont cousus pour que être portés sous les robes. Les minuscules boutons se boutonnent et déboutonnent sur de véritables boutonnières. Les poches des vêtements sont de vraies poches. Les petits parapluies s'ouvrent et se ferment. Les gants miniatures sont délicatement brodés. Des ceintures minuscules, des petites fleurs et des ornements de plumes sont réalisés. Et dans les petits sacs à main, on trouve des petits porte-monnaies et de tout petits poudriers.
Enfin, les petites chaussures sont fabriquées à l'identique des modèles grandeur nature, chaque paire étant spécialement choisie pour chaque tenue.
Le travail est énorme. Et tout cela malgré les privations, les rationnements, la pénurie, et le froid.
Malgré le manque de fournitures et matériaux : le tissu manque, tout comme le cuir, et les maisons de couture vident leurs stocks de coupons. Les fils colorés sont introuvables, il faut se procurer du fil blanc avant de le teindre. Même les aiguilles sont rares.
Malgré les rations alimentaires tout juste suffisantes, les coupures d'électricité incessantes, le manque de chauffage dans des ateliers froids en plein hiver, l'eau glacée où il fallait tremper les peaux, l'obligation de venir travailler à pied à vélo.
Malgré toutes les difficultés, tous, artistes et artisans se jettent avec enthousiasme dans la réalisation du projet.
Sources :
Le Théâtre de la mode ou le renouveau de la couture création à la Libération, par Dominique Veillon (Vingtième siècle. Revue d'histoire. Année 1990)
L'Ambassade de la Mode, par P. Schall
Le Théâtre de la Mode, article de Roger-M.Chevenard, 1945
The Fashion Doll, par Juliette Peers, 2004, Edition Berg
Gypsy and the Traveler
Le blog de Denise Brain
Poupendol
Phoenix Art Museum
The Fashion Doll Review
Wikipédia
Domidoll
The Cutting Class
Remember
Mendofleur : Vintage Textiles
MarketingInVogue
Art Fashion Creation
Artifex Almanach
Drouot.com
ParisOriginal
Fashion-Incubator
Mode et Luxe : Images et réalités de la nouveauté, par Serge Carreira
« The Dress of a Thousand Godets » New York August 1963.
Dress by Norman Norell - Photo Norman Parkinson
Diner dress - Traina-Norell 1955
Traina-Norell 1952-53
Traina-Norell 1953-55
Cocktail dress - Traina-Norell 1957
Traina-Norell - 1950s
Cocktail dresses Traina-Norell 1953 &1959
Evening dress - Norman Norell 1961
Norman Norell 1972-1973
Model Dorian Leigh Wearing Dress and Jacket Design by Traina Norell
Photo by Gjon Mili