Le XVIIIeme siècle a été le siècle d'un renouveau du parfum, avec un retour assidu de son usage.
En cette époque, l'univers des odeurs était différent de celui qui est le nôtre aujourd'hui, et l'air était chargé d'effluves malodorantes que l'on ne supporterait plus aujourd'hui.
On donnait aux arômes de nombreuses vertus, notamment au niveau médical, et dans un but de protection et de purification, on usait et abusait du parfum.
Sous Louis XV, la Cour de Versailles est surnommée "la Cour parfumée", tant les couloirs en étaient imprégnés.
Le parfum y était omniprésent, du corps au linge, de l'habillement aux accessoires. "Etre propre, c'est être parfumé"(1).
On met des sachets ou des pétales de rose dans les plis et revers des vêtements et des chapeaux. Les gants, les mouchoirs, les éventails, sont abondamment parfumés. Des rubans parfumés sont disposés dans des "déshabillés de senteur" doublés de peau parfumée et garnie de tissus aussi parfumés, et seront choisis le matin par la belle pour compléter sa parure.
Le parfum au XVIIIeme siècle est utilisé sous de multiples formes : eau de senteur, poudre, gant cosmétique, huile ou vinaigre, pâte odorante ... Et de même qu'on parfume le corps et les vêtements, on diffuse des fragrances dans l'habitation, avec les brûle-parfums, cassolettes et pot-pourris.
Sous Louis XV, on choisissait des senteurs puissantes, animales, telles que le musc et la civette.
Marie-Antoinette, quant à elle, appréciait ces odeurs vives et fortes, et leur préférait les senteurs florales, légères et délicates, comme celles de la rose et de la violette. C'est ainsi que les senteurs champêtres et naturelles, douces et fruitées revinrent à la mode, ce qui est encore le cas de nos jours.
La reine avait son propre parfumeur, Jean-Louis Fargeon.
Il lui créait des parfums ainsi que de nombreux produits de soin. Il deviendra d'ailleurs par la suite le parfumeur attitré de Napoléon.
Pour Marie-Antoinette," il confectionnait des eaux spiritueuses à base de rose, de violette, de jasmin, de jonquille ou de tubéreuse obtenues par distillation en présence d'esprit de vin, après infusion plus ou moins prolongée. Il les intensifiait avec du musc, de l'ambre ou de l'opopanax." (2) Ces parfums étaient employés à parfumer l'air, au moyen de pastilles à brûler ou de pot-pourris fleuris. Ils étaient aussi u tilisés en sachets parfumés, qu'affectionnait la Reine.
Elle aimait les parfums légers, ses préférences allant aux fragrances de rose, de lis, de violette et d'oeillet, avant de prendre goût aux parfums plus prononcés.
De même, il lui préparait des gants parfumés, lesquels étaient fabriqués en peau idoine.
Fargeon composa à la demande de Marie-Antoinette un parfum qui devait évoquer le Trianon. C'est ainsi qu'il conçut le Parfum de Trianon, dont la rose était la note principale, autour de laquelle se retrouvaient les fleurs d'oranger, la lavande, le cédrat et la bergamote, et enfin le galbanum. Au coeur de ce parfum : les effluves de l'iris et la violette, ainsi qu'une pointe de jonquille. A ce bouquet il mêla le jasmin, le lys et la tubéreuse. Pour le fond de sa préparation, il choisit la vanille, le cèdre et le santal, l'ambre et le musc, ainsi qu'un peu de benjoin.
Marie-Antoinette, ainsi que la Cour royale et la noblesse, se fournissait également chez le parfumeur gantier Jean-François Houbigant, qui avait établit sa boutique "A la corbeille de fleurs" à Paris en 1775, rue Faubourg Saint-Honoré.
Quelques recettes choisies dans la "Toilette de Flore" :
Eau divine :
"Pour la faire, prenez au commencement du mois de Mars deux onces, de chacune des racines de vrai Acorus, de Bétoine, d'Iris de Florence, de Souchet long, de Gentiane, de Scabieuse, une once, de Cannelle et autant de Santal citrin, deux gros de Macis, une once de baies de Genièvre, six gros de Coriandre ; pilez ces drogues et ajoutez-y les zestes de six beaux citrons et de six belles oranges de Portugal : mettez le tout dans un grand vaisseau avec dix pintes de bon esprit de vin, remuez bien le tout, ensuite bouchez bien exactement le vaisseau, jusqu'à la floraison des fleurs ; et dans le temps que chaque fleur est dans sa force, mettez-y alors une demi-poignée, de chacune des fleurs suivantes : Violette, Jacinthe, Giroflée jaune, Jonquille, Rose rouge, Rose pâle, Rose blanche et musquée, Oeillet, Orange, Jasmin, Tubéreuse, Romarin, Sauge, Thym, Lavande, Marjolaine, Genêt, Sureau, Millepertuis, Souci, Camomille, Nicotiane, Muguet, Narcisse, Chèvre-feuille, Bourrache, Buglosse. Il faut trois saisons pour voir fleurir ces fleurs, le printemps, l'été et l'automne, ce qui fait un temps considérable. Chaque fois que vous mettez une partie de vos fleurs, vous mêlerez le tout ensemble ; vous userez ainsi depuis la première jusqu'à la dernière des fleurs, mettez le tout dans une cucurbite couverte de son chapiteau, bien luttée, mise dans un bain-marie au feu tempéré, rafraîchissez souvent, vous en tirerez cinq pintes d'esprit d'une rare qualité, soit pour remède, soit pour l'odeur : cette Eau est une des meilleures."
Eau de la Reine de Hongrie :
Vous mettrez dans un alambic une livre et demie de fleurs de Romarin bien fraîches, fleurs de Pouliot, de Marjolaine, de chacun une demi-livre ; et par-dessus tout cela trois pintes de bonne Eau-de-Vie. Ayant bien bouché l'Alambic pour empêcher l'évaporation, vous la mettrez durant vingt-huit heures en digestion dans le fumier de cheval, bien chaud, ensuite vous le ferez distiller au bain-marie.
L'usage de cette Eau est d'en prendre une ou deux fois la semaine le matin à jeun, la quantité d'un gros, avec quelqu'autre liqueur ou boisson, de s'en laver le visage et tous les membres où l'on se sent quelque douleur ou débilité. Ce remède renouvelle les forces, dissipe les nuages de l'esprit, fortifie la vue, et la conserve jusqu'à une vieillesse décrépite, fait paroître jeune la personne qui en use, est excellente pour l'estomac et la poitrine, en s'en frottant par-dessus.
Eau de Senteur :
Prenez Basilic, Menthe, Marjolaine, Racine d'Iris, Hyssope, Sariette, Mélisse, Lavande, Romarin, de chacune une poignée, Cloux de Gérofle, Canelle, Noix muscade, de chacun une demi-once, trois ou quatre Citrons en rouelles assez épaisses, faites-les tremper dans une bonne quantité d'Eau de Rose pendant trois jours, puis distillez le tout au bain-marie, à petit feu ; la distillation faite, ajoutez-y un scrupule de Musc. Ou bien :
Prenez Marjolaine, Thym, Lavande, Romarin, petit Pouliot, Roses rouges, Fleurs de Violettes, Oeillet, Sarriette, écorce d'Orange rouge ; faites tremper le tout dans du Vin blanc, jusqu'à ce que les matières seroient précipitées au fond du Vin, puis distillez deux ou trois dans un Alambic. Gardez l'Eau dans des bouteilles bien bouchées, et le mare pour des parfums.
Eau d'Ange, qui embaume par son agréable odeur :
Mettez dans un grand Alambic les drogues suivantes. Benjoin, quatre onces, Storax, deux onces, Santal citrin, une once, cloux de Gérofle, deux gros, deux ou trois morceaux d'Iris de Florence, la moitié d'une écorce de Citron, deux Noix muscades, Canelle, demi-once, deux pintes de bonne Eau de Roses, une chopine d'Eau de Mélisse, vous mettrez le tout dans un Alambic bien scellé, et vous le distillerez au bain-marie ; cette distillation est une Eau d'Ange exquise.
Eau Couronnée :
Mettez dans huit pintes d'Eau-de-Vie une demi livre de Violettes épluchées, deux onces de racine d'Iris, une demi-livre de Jonquille double, quatre onces de felurs d'Orange épluchées, quatre onces de Roses musquées blanches, six onces de Tubéreuse, deux gros de Macis, un gros de cloux de Gérofle ; deux onces de quintessence de Bergamotte, deux onces de quintessence d'Orange du Portugal ; toutes les fleurs doivent être cueillies dans leur saison : il faut observer de mettre avec la Violette, l'Iris pilée, le Macis et le Gérofle, d'y ajouter ensuite les fleurs dans leur saison, et de ne mettre la quintessence qu'après la Tubéreuse, qui est la dernière fleur. Toutes les fois que vous mettrez une nouvele fleur, vous remuerez le tout, et boucherez très-exactement le vaisseau. Huit jours après que vous y aurez joint la Tubéreuse, mettez le tout dans une Cucurbite, couvrez-la de son chapiteau, luttez exactement et faitesen la distillation au bain-marie. Ayez soin de rafraîchir souvent : adaptez et luttez le Récipient, mettez-le dans une terrine pleine d'Eau, afin que les esprits en tombant se refroidissent, pour la conservation de sa force et de son parfum. Vous retirerez de cette opération quatre pintes de bon esprit de vin, que vous pouvez présenter à ceux qui ont le goût le plus fin, ils en seront parfaitement satisfaits.
Eau de Lavande :
Prenez des fleurs de Lavande récentes ou sèches, arrosez-les de Vin ou d'Eau-de-Vie, ou d'Eau de Rose, et faites-les y infuser, après quoi vous les distillerez. L'Eau sera plus odorante, si vous faites sécher les fleurs au soleil dans une phiole de verre bouchée, et qu'ensuite vous jettiez du Vin blanc par-dessus.
Eau des Dames :
Prenez deux poignées et demie de Roses rouges, fleurs de Romarin, de Lavande, d'Aspic, de chacun une poignée, brins de Thym, fleurs de Camomille, de petite Sauge, de Pouliot, de Marjolaine, de chacun une poignée ; faites tremper le tout dans du vin blanc pendant vingt-quatre heures, puis mettezle dans l'Alambic ; arrosez le de bon vin blanc, et répandez par -dessus la poudre suivante, composée d'une once et demie de Cloux de Gérofle choisis, une once de Maniguette, Benjoin, Storax, Calamite, de chacun deux gros, l'Eau distillée doit être gardée dans un vaisseau bien bouché. (3)
Sources :
(1) "Jean-Louis Fargeon, parfumeur de Marie-Antoinette", d'Elisabeth Feydeau, 2005, Editons Perrin
(2) "Le parfum des origines à nos jours", de Annick Le Guérer, 2005, Editions Odile Jacob
(3) "Toilette de Flore, à l'usage des Dames", de Pierre Joseph Buc'hoz, 1771
(Dans cet ouvrage, Buc'hoz, médecin botaniste, donne de nombreuses recettes de beauté de l'époque. Marie-Antoinette le rencontra dans son jardin de Trianon, où il dessinait des plantes)